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LES AILES DE WADI RUM

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CHAPITRE PREMIER

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Jordanie, 6500 avant J.C.

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La terre tremblait. Les cieux, emplis de nuées noires, se zébraient d’éclairs blancs. Au milieu de ce chaos, quatorze êtres se livraient une bataille sans merci. Sept combattants de la lumière. Sept combattants des ténèbres. Le conflit durait depuis des millénaires. L’enjeu était de taille. Du côté où pencherait la puissance, l’avenir de la Terre en dépendrait.
― Zadkiel, Sitael, je m’occupe de la pierre !
Le déchu Mal’akhé détenait l’objet, il lui fallait profiter du tumulte pour s’en saisir. Manakel devait lui reprendre, à tout prix. Il se dirigea vers son adversaire. Il déroula son fouet de feu et le fit claquer au-dessus de la tête de Mal’haké. Ce dernier surpris, se ressaisit et sourit.
― Allons Manakel ! Es-tu sérieux ? Crois-tu être de taille contre moi ?
Manakel ne répondit pas. Les six autres déchus étaient aux prises avec ses compagnons, ils avaient laissé Mal’haké s’isoler. Erreur. Tandis que Gabriel, Uriel, Khamiel et les autres se battaient avec fureur et détermination, lui allait récupérer la pierre tant convoitée. Il s’élança. Le fouet siffla, déroulant ses circonvolutions ardentes avant de s’enrouler autour du bras droit de son adversaire. Mal’haké poussa un rugissement de fureur et laissa tomber la pierre. Il défourailla son épée flamboyante et se jeta sur Manakel. Celui-ci ouvrit ses ailes blanches et sauta haut pour éviter le coup. Il retomba à pieds joints sur la poitrine de son ennemi, le plaquant au sol.
― Vous avez perdu ! Toi et les tiens allez repartir en enfer !
Manakel saisit l’épée de Mal’haké et lui enfonça dans la poitrine. Cloué au sol, ce dernier hurla. Une vive lumière s’échappa de la blessure, ses ailes noires prirent feu et Mal’haké disparut dans une gerbe d’étincelles.
Manakel se retourna et chercha des yeux la pierre. Elle était là, à quelques mètres, logée dans l’herbe à l’orée du bois de chênes, près d’un genévrier.
Il s’élança vers elle et tendit la main.
― Pas si vite !
La voix d’Azazel résonna comme un tonnerre menaçant. Il dardait son regard noir sur Manakel et faisait tourner son épée.
― Tu ne la prendras pas, elle est à nous ! gronda Azazel.
Il prit son élan et se mit à courir vers son adversaire, l’épée tournoyait au-dessus de sa tête, prête à découper Manakel. Ce dernier se jeta de côté, pas assez vite, et la lame brûlante lui entailla le flanc gauche, juste à la limite de son armure d’or. Il s’arc-bouta sous la douleur. La plaie se refermait déjà. Alors qu’Azazel le chargeait à nouveau, Manakel sauta derrière son ennemi, lui agrippa les ailes, le fit tournoyer pour le jeter au loin.
― Je dois la prendre, maintenant… je n’aurai pas d’autre chance… murmura-t-il pour lui-même.
Manakel se saisit de la pierre noire et polie. Il se mit ensuite à courir dans la direction opposée pour contourner le champ de bataille. Il vit avec désespoir que trois de ses compagnons étaient hors de combat, ils ne se relèveraient plus.
― Amiziras ! Anabiel ! Mastêma ! Il s’enfuit !
Aux cris d’Azazel, les trois déchus tentèrent de se refermer en étau sur le fugitif. Manakel esquiva de justesse et prit son envol. Il ne s’en sortirait peut-être pas, mais il devait mettre la pierre en lieu sûr. Il prit la direction du profond canyon.
Les claquements des ailes noires lui indiquèrent immédiatement que les déchus étaient à sa poursuite. Il accéléra. A l’approche du ravin, il se laissa tomber en piqué. Il lui fallait gagner du temps, les distancer…
Manakel frôla la paroi rocheuse. Il y était presque. La douleur fulgurante le faucha en plein vol. Un éclair venait de le percuter dans le dos. Il perdit toute notion des distances et ne put garder son équilibre. Il chuta en vrille. L’impact fut terrible, des morceaux de roche explosèrent. Les ténèbres se refermèrent sur l’ange Manakel.

 

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​CHAPITRE DEUX


Jordanie, de nos jours.

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Le ciel nocturne ressemblait à une tenture de velours noir. Chaque astre, chaque constellation y était présentée comme les diamants d’un joailler de luxe. Brillants, étincelants, captivants. Aucune pollution lumineuse ne venait troubler la pureté des cieux, rien ne stoppait le regard.
Cassandra Darmont quitta à regret sa contemplation et se retourna pour fermer les pans de sa tente. Déjà deux mois qu’elle vivait là, au milieu de ce désert aride. Wadi Rum… le milieu de nulle part. Si beau, si envoûtant, si hostile parfois. Mais le temps passait vite, ponctué de découvertes plus intéressantes les unes que les autres.
Elle lissa le devant de sa chemise et prit le chemin du cœur du campement. Des flammes crépitaient, rougeoyant les braises et des gerbes d’étincelles orangées montaient comme des lucioles. Les hommes s’activaient autour. C’était l’Aïd. Ils avaient sacrifié un mouton et le faisait rôtir. L’odeur de la viande grillée vint chatouiller les narines de la jeune archéologue. Elle avait un peu faim et le fumet la fit saliver. Elle passa non loin du brasier et salua les ouvriers. Ils lui répondirent et lui firent signe de se joindre à eux. Après tout, pourquoi pas. Elle n’était pas si pressée de se retrouver avec Franck.
Elle s’assit sur un kilim posé près du feu et Atallah, l’un des bédouins travaillant sur le chantier, lui tendit une côtelette et un poivron grillé.
― Choukrane !
Elle mordit à pleines dents la viande, tendre et juteuse. Un vrai délice ! Rien à voir avec la carne qu’elle trouvait sur les étals parisiens, chère et sans goût.
La lumière du feu réchauffait les corps et les esprits et donnait aux cheveux auburn de la jeune femme l’aspect vivant des flammes. Ses yeux vert émeraude s’illuminèrent lorsque les hommes se mirent à chanter et frapper les djembés. Avec eux et en rythme, elle tapa dans ses mains. Elle ne comprenait pas les paroles mais comme souvent, il devait s’agir d’une chanson d’amour.
Ouais. L’amour. Cassandra se retrouvait là en partie à cause de lui. Elle ne le regrettait pas, non. Les fouilles étaient intéressantes, les paysages fabuleux. Ce n’était pas ça. Le problème se situait au niveau de l’enseignant-chercheur qui menait le projet. Franck Bonneau. Cassandra l’avait connu à Paris. Alors en dernière année, elle suivait l’un de ses cours. Elle était tombée amoureuse de son professeur. D’un classique... Beau, intelligent, cultivé, à ses yeux il était la perfection même. Enfin, à l’époque. Elle l’avait rapidement cerné mais trop tard. L’homme parfait se révélait être un sombre crétin obséquieux, pédant, qui n’hésitait pas à rabaisser et à écraser l’autre. Ce n’était pas lui qui viendrait partager une côtelette avec les ouvriers des fouilles. Il ne se mélangeait pas aux gens qu’il estimait ne pas être de son niveau. Entraînée dans cette aventure jordanienne, elle se retrouvait coincée ici avec lui. Leur récente rupture rendait l’atmosphère orageuse.
Juliette passa. Cassandra l’aperçut et la salua. La géologue lui répondit avant de se glisser sous une des tentes. Hormis Franck, les gens de l’équipe étaient sympas et Cassandra s’entendait bien avec chacun d’entre eux.​

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Avec un soupir de regret, elle se leva, salua les convives et s’éloigna du feu. Le rythme des djembés l’accompagna jusqu’à l’entrepôt de toile où étaient rangées les pièces découvertes. Elle devait remettre à Franck son rapport de la journée. Il n’était pas encore là. Une longue table occupait le centre de la tente, recouverte d’une toile blanche. Dessus étaient posés les différents objets mis au jour : outils de silex ou d’obsidienne, meule à broyer les céréales, fragment de poteries… Le site avait été abandonné pour des raisons inconnues vers 6500 avant notre ère. Il n’avait plus été exploité par la suite. Peut-être un des premiers exemples de l’impact de l’homme sur son environnement. Les terres et les ressources, surexploitées, avaient laissé le désert s’installer progressivement. Cela allié à des modifications climatiques, le tour était joué.
― Ah, tu es déjà là !
Franck passa la porte avec son éternel sourire enjôleur, vêtu d’une chemise et d’un pantalon multipoches kaki. Mais il n’avait plus la moindre emprise sur Cassandra.
― Oui. Voici mon rapport.
Elle jeta le papier plié sur la table et prit la sortie. Son boulot, point barre. Elle ne désirait plus avoir le moindre contact avec lui en dehors du strict nécessaire.
― Attends ! Ne pars pas si vite !
Franck lui avait agrippé le bras et la jeune femme grimaça, les yeux au ciel. Il allait en remettre une couche…
― Lâche-moi. Je suis fatiguée.
Les yeux bleus inquisiteurs la scrutaient et un vilain pli se dessina sur ses lèvres.
― Tu as bien cinq minutes, non ?
― Pour quoi faire ? Nous nous sommes tout dit Franck. S’il ne tenait qu’à moi je serais déjà repartie pour Paris, mais…
― Mais le site t’intéresse ! Je te connais, tu ne peux pas lui résister.
Il ricana devant le visage furieux de Cassandra. Elle détestait qu’il lise en elle comme dans un livre et il le savait.
― Bien sûr qu’il m’intéresse ! Ce que je ne comprends toujours pas, c’est ce mystère que tu fais autour de notre commanditaire.
― C’est un gros consortium et…
― Je sais tout ça ! Mais tu ne m’as jamais rien précisé, cracha-t-elle.

Elle fit un large geste circulaire vers la table.
― Je bosse pour des gens dont je ne sais rien. Que vont-ils faire de toutes ces pièces après ? Si j’étais certaine qu’elles finissent dans un musée pour le plaisir de tous, ça irait. Mais avec un « consortium », comme tu dis, (elle mima des guillemets de ses doigts) rien n’est moins sûr.
Franck grimaça.
― Je ne vois pas en quoi c’est ton problème. Ils paient les frais, c’est tout ce qui importe.
Cassandra serra les poings. Elle ne le supportait plus, lui, sa barbe de trois jours, ses petites rides au coin des yeux, son parfum rappelant le cuir… Comment avait-elle pu en tomber amoureuse ? Sa passion pour l’archéologie s’arrêtait là où commençait celle pour son compte en banque.
― Et moi, il m’importe que l’Histoire soit pour tous, pas pour une poignée de friqués qui contempleront une fois par mois leurs trésors planqués au chaud dans leur coffre !
― Je te rappelle que je suis le boss ici. Tu n’as rien à dire. Ton boulot est de creuser et trouver, comme un bon chien truffier. Le reste ne regarde que moi.
― Connard !
Cassandra fit volte-face et quitta la tente. Elle ne voulait pas s’abaisser à le gifler. Sa tête bourdonnait, la colère faisait vibrer chaque cellule de son corps. Elle savait qu’elle n’arriverait pas à dormir et décida de marcher en direction de la gorge où les fouilles avaient en partie lieu. Elle se saisit de la lampe torche fixée à sa ceinture, l’alluma et marcha vers les formations rocheuses. Là, elle s’assit dans la poussière rouge et ferma les yeux. Le silence n'était interrompu que par le léger sifflement du vent qui s’engouffrait dans le défilé. Combien de temps, resta-t-elle là ? Elle avait fini par somnoler. Quand elle ouvrit les yeux, elle avait mal partout. La position qu’elle avait prise n’était pas des plus confortables. Elle se releva en grimaçant et partit finir sa nuit dans sa tente.​ â€‹

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​CHAPITRE TROIS


Le soleil cognait dur. Debout sur un rocher surplombant le vide, Cassandra jeta un dernier regard panoramique avant de s’enfoncer dans la pénombre. Les canyons, les falaises, les arches naturelles renvoyaient la lumière, se parant de reflets dorés et rougeoyants. Avec cette chaleur, elle préférait fouiller une des innombrables crevasses du défilé. Elle était au frais. Plus ou moins. Toujours mieux qu’en plein cagnard. La cavité dans laquelle elle travaillait ne se devinait pas de l’extérieur. Très tortueuse, elle s’étalait de recoins en recoins. Dotée d’une carrure fine et souple, ainsi que d’une taille modeste, ces atouts lui permettaient de se glisser partout. La jeune archéologue avait déjà inspecté toute la partie près de l’entrée sans trouver quoi que ce soit d’intéressant. Elle s’était donc enfoncée plus profondément dans la cavité, sa lampe lui procurait une lumière suffisante pour examiner sols et parois. Des peintures rupestres recouvraient les murs de nombreuses cavernes mais pas de celle-ci.
― Mais, qu’est-ce que c’est que ça ?
Cassandra s’approcha plus près de la paroi. Le faisceau de sa lampe faisait ressortir des irrégularités dans la pierre. De l’écriture ! Quelque chose était inscrit. Elle se rapprocha encore. Ça ressemblait à de l’araméen. Cela devait donc dater d’une période plus récente que le reste des fouilles. Cassandra se saisit de son petit appareil numérique et photographia la paroi.

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Plus tard, dans la tente, elle afficha les photographies sur l’écran de l’ordinateur portable. Cela semblait bien être de l’araméen. Au plus, ce texte devait être vieux de – 1500 ans, très postérieur donc aux objets déterrés. Aucune écriture plus ancienne dans cette langue n’avait été découverte. Cassandra entreprit de traduire les signes. Pas évident, certains étaient à demi effacés. De plus, ce n’était pas de l’araméen classique, certaines lettres semblaient différentes.
Cassandra travailla longuement avant que Franck n’arrive.
― Qu’as-tu trouvé là ? s’enquit-il, intéressé.
― Un texte. J’essaie de le traduire.
― Et alors ?
― J’ai le début. Un peu bizarre.
Cassandra tendit sa feuille à Franck.
« Le monde se couvrira de ténèbres,
La violence règnera,
Le destin de l’humanité vacillera,
Le feu brûlera,
La terre tremblera,… »
― Je ne suis pas sûre de la suite. Le mot, là… Qu’est-ce qui sortira ?
― On dirait « créatures », murmura Franck.
― Donc la suite serait :
« Les créatures sortiront,
Les hommes s’entre-tueront,
Pour les justes le salut viendra,
D’une âme pure il émanera ».
Cassandra regardait la feuille couverte de son écriture élégante d’un air dubitatif.
― Qu’est-ce que c’est que ce charabia ? Ça sonne comme… une mauvaise prophétie.
Franck afficha un large sourire.
― Ouais. Enfin un truc intéressant ! Ça me change de tes vieux outils !
Cassandra lui décocha un regard noir.
― Ils sont très biens, mes vieux outils.
― Oui, mais nos… commanditaires préfèreront ce genre de découverte.
Franck tourna les talons puis se ravisa.
― Donne-moi l’ordi. Et pas un mot de tout ça à quiconque. Ah, et la puce de l’appareil photo et tes notes, bien entendu.
― Mais… Qu’est-ce qui te prends ?
― Pas de question. Tu fais ce que je te demande, c’est tout.
Cassandra attrapa son ordinateur et le serra contre elle.
― Et en quel honneur ? Ce matériel m’appartient. Et arrête de jouer les mystérieux. On est tous dans le même bateau alors tu pourrais…
― Tu lâches ça, tout de suite !
La voix de Franck résonna, sinistre, implacable. Ses yeux semblèrent fous, injectés de sang. Les mains tendues, il agrippa la jeune femme à la gorge mais se reprit à la dernière seconde. Pour la première fois, il fit peur à Cassandra.
― Ok. Il est à toi…
Elle le laissa prendre le portable et le reste sans protester davantage.
Une fois seule, elle frissonna.
― Qu’est-ce que c’est que ce merdier ? murmura-t-elle.
L’impression de malaise ne la quitta pas et elle tourna des heures sur son lit de camp avant de trouver le sommeil cette nuit-là.

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Le lendemain, elle retourna dans la « grotte aux écritures », comme elle l’appelait. Assise en tailleur devant la paroi, elle se laissa aller à son imagination. Cassandra ferma les yeux et se retrouva des milliers d’années en arrière. Qui avait gravé ce texte ? Que signifiait-il ? Avait-il plus d’importance que les tags contemporains ? Tant de questions sans réponses. Fatiguée par sa courte nuit, elle finit par s’endormir, sans s’en rendre compte.

​

Une lumière vive l’entoure… Légèrement bleutée… Tout n’est que calme et sérénité… Elle est debout au milieu d’une prairie verdoyante… D’un coup, la lumière est comme absorbée… Elle disparait pour ne laisser que les ténèbres… Un vacarme assourdissant où se mêlent chocs métalliques et hurlements lui vrille les tympans… Le sol à ses pieds est mort, craquelé, desséché… Un bruissement à sa gauche, puis à sa droite… Quelque chose est là, tapi dans le noir… La silhouette bondit, sabre au clair et l’abat sur elle…

​

Cassandra se releva vivement. Elle aspira l’air comme une noyée remontant à la surface, avidement. Son corps tremblait, secoué de spasmes et une sueur collante recouvrait son visage et son corps. Elle se sentit glacée.
― Quel horrible cauchemar ! siffla-t-elle.
Sa lampe s’était éteinte et la jeune femme la ralluma. Sa montre indiquait seize heures.
― C’est pas vrai ! J’ai dormi tout l’après-midi !
Elle éclaira la paroi recouverte d’écriture. Juste à côté du mot qui signifiait « justes », il y avait un petit trou qu’elle n’avait pas remarqué auparavant. La pierre semblait fendillée. Elle attrapa sa martelette et, délicatement, sans toucher à la partie sculptée, elle frappa avec le manche. Ça sonnait creux. Cassandra entreprit alors d’agrandir le trou. La roche s’effritait facilement et bientôt il y eu assez de place pour glisser la main. De sa torche elle éclaira l’intérieur. L’espace derrière la paroi semblait assez vaste. Peut-être une salle secondaire. Elle continua d’arracher la pierre et put finalement se glisser par l’espace dégagé. Elle vérifia qu’aucun hôte indésirable et venimeux ne squattait les lieux. Il y avait pas mal de serpents dans la région. Elle replaça l’outil dans sa ceinture et balaya de sa lampe les murs et le plafond. Deux mètres de hauteur sur trois de large et trois de profondeur, estima-t-elle. Vers le fond, un rocher plat trônait, comme une petite table naturelle. Dessus, il y avait quelque chose. Cassandra s’avança prudemment, éclairant l’objet. Il s’agissait d’une pierre polie, de forme ovale, comme un œuf aplati. Peut-être de l’obsidienne… Cassandra posa sa lampe juste à côté de la pierre et souffla dessus pour dégager la poussière. D’environ vingt centimètres dans sa partie la plus large, elle était parfaitement lisse et d’un noir profond, uniforme. La jeune femme la prit en main. Anormalement lourde pour sa taille, la pierre sembla changer de couleur. Non, elle luisait !
Cassandra la lâcha, haletante. Avait-elle rêvé ? Elle tourna autour sans oser remettre la main dessus.
― Qu’est-ce que c’est que ce truc ? murmura-t-elle.
Après tout, ça ne mordait pas. Elle la reprit. Effectivement, la pierre sembla s’illuminer de l’intérieur. Comme une lampe. Une pensée atroce lui effleura l’esprit. Et si cette chose était radioactive ? Une pierre ne luit pas, c’était impossible ! Aucune chaleur ne s’en dégageait. Sa peau ne se mit pas à cloquer, elle ne ressentit rien. De toute façon, elle l’avait touchée. Si un effet secondaire indésirable devait lui tomber dessus, c’était trop tard. Elle enfourna la pierre dans la sacoche de toile qui pendait à sa ceinture puis ressortit par le trou. Il n’y avait rien d’autre dans cette salle.
Il était déjà tard, la nuit allait bientôt tomber. Cassandra prit le chemin du campement.

​

La jeune femme alla directement dans la grande tente où les découvertes s’entreposaient. Elle plaça la pierre sur la nappe blanche et commença à noter ses caractéristiques. Elle omit cependant le détail de la lumière. Pas encore. Elle ne voulait pas passer pour une folle. Juliette Prévaut, la géologue, entra à son tour.
― Salut Cassandra ! Ça va ?
― Oui, et toi ? Regarde cette pierre. Elle est belle, non ? A ton avis, c’est quoi ?
Juliette regarda l’œuf noir.
― Hum… Je pense à une obsidienne.
― C’est ce que je me disais aussi. Maintenant, reste à savoir à quoi elle servait.
― Où l’as-tu trouvée ?
Franck avait été formel. Aucune allusion aux inscriptions.
― Euh, dans une grotte du défilé, pas loin. Elle était dans une salle bouchée. J’ai dû casser la paroi pour la trouver. Comme si elle avait été cachée là.
Juliette prit la pierre et la soupesa.
― Elle est plutôt lourde pour sa taille… Pourquoi fais-tu cette tête ?
Cassandra se reprit.
― Hein, quoi ? Quelle tête ?
La pierre n’avait pas émis la moindre lueur dans la main de la géologue. Décidément, elle devait être victime d’hallucinations.
― Elle est drôlement lisse, pas la moindre imperfection, murmura Juliette. Du beau boulot.
― Oui. Je ne vois pas à quoi elle peut servir. Peut-être un objet cultuel. Reste à tenter de la dater.
― Bon courage ! lança Juliette.
Elle quitta la tente, laissant Cassandra seule avec ses doutes et ses questionnements. Cette pierre avait sans doute été façonnée au néolithique. Mais au Moyen-Orient la période était longue de plus de 5000 ans.
― On est dans la lune ?
La voix irritante de Franck la tira de ses réflexions.
― Non, je réfléchissais, c’est tout. Tu devrais essayer de temps à autre.
― Très drôle Cassandra. Tu as trouvé un œuf de plésiosaure fossilisé ? ricana-t-il.
― Non, c’est une pierre polie. Néolithique. Il faudrait des instruments que nous n’avons pas ici pour être plus précis.
Franck se rapprocha de la table. Il blêmit.
― Nom de dieu !
― Quoi ?
― Hein ? Rien… Tu as parlé de ça à quelqu’un ?
― Non. Juliette l’a examinée ici, avec moi. C’est tout. Pourquoi cet air mystérieux ?
Franck se ressaisit et la fixa, blasé.
― Je n’ai pas l’air mystérieux, comme tu dis. C’est un bel objet qui intéressera notre mécène, et je ne voudrais pas que quelqu’un y touche, c’est tout. Où l’a tu trouvée ?
― Près des écrits gravés. Dans une salle cachée. J’ai dû briser la paroi pour la dégager.
― Tu l’as montrée ?
― Non. A part Juliette. Pourquoi ?
― Pour rien. N’en parle à personne.
― Franck, pourquoi ces mystères ? Qu’est-ce que cet objet a de si spécial à tes yeux ?
― T’occupe. Je ne veux pas attirer des convoitises.

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Moui… Cassandra n’était pas convaincue par les explications de son ex. Elle quitta la tente pour aller se coucher. Elle n’arrivait pas à penser à autre chose qu’à ce caillou. Pourquoi émettait-il cette drôle de lueur quand elle le touchait ? Pourquoi Franck semblait-il si bizarre après l’avoir vu ? Cassandra ne réussit pas à trouver le sommeil. Elle se releva et retourna voir cette pierre si étrange. Il fallait qu’elle trouve des réponses avant de devenir dingue.
La tente entrepôt était plongée dans l’obscurité mais les lumières extérieures apportaient un peu de clarté à travers la toile épaisse. Cassandra n’eut aucun mal à trouver l’objet. Elle n’avait pas voulu allumer pour ne pas attirer l’attention. Elle ignorait pourquoi mais son sixième sens lui dictait de la jouer discrète. Elle prit la pierre en main et celle-ci se mit à luire instantanément. Une lueur verdâtre émanait du cœur du caillou. Cassandra avait l’impression qu’elle pulsait, comme si elle était vivante. Sensation extrêmement étrange. Curieusement, l’objet ne l’effrayait pas. Elle était plongée dans ses réflexions lorsqu’un bruit de pas la tira de sa contemplation. Elle reposa vivement la pierre à sa place et, instinctivement, se cacha sous la table. La nappe blanche qui la recouvrait tombait presque jusqu’au sol, offrant une cachette idéale. Les bruits de pas s’amplifièrent et quelqu’un entra, sans allumer. Cassandra retint son souffle.
― Te voilà, ma belle. Il sera ravi.
Le murmure de Franck résonna dans le silence de la tente. Une sonnerie de téléphone retentit et le patron de Cassandra répondit.
― Allo ? Oui, vous avez eu mon message ?
― …
― Elle est là, devant moi. Superbe.
― …
― Personne à part celle qui la trouvée. Ah, elle l’a montrée à notre géologue aussi.
― …
― Non, à ma connaissance personne d’autre. Les écrits de la prophétie étaient juste à côté. C’est forcément la pierre que vous cherchez.
― …
― Vous êtes sûr ? C’est plutôt radical !
― …
― Non, je ne conteste pas vos ordres. Mais un nettoyeur, quand même.
― …
― Vos méthodes sont expéditives, je ne les approuve pas.
― …
― Non, elle ne se doute de rien. Pour elle, ce n’est qu’un caillou poli qui vous intéresse, c’est tout. J’attends votre nettoyeur alors ? Il sera là quand ?
― …
― Si tôt ? Bon… J’espère que c’est un professionnel, qu’il ne laissera pas de traces suspectes.
― …
― Oui, le temps de prendre quelques affaires et je pars. Le terrain sera dégagé à son arrivée. Par contre, avec tout ce bordel, ce sera plus cher.
― …
― Ne me menacez pas ! C’est toujours moi qui ai le caillou, ne l’oubliez pas ! Je ne sais pas ce qu’il représente pour vous, mais j’espère que c’est assez important pour justifier tous ces morts. Je vous recontacte quand je serai rentré.
Un claquement sec signifia que Franck avait raccroché.
Cassandra respirait à peine. De quoi avait-il parlé au téléphone ? Des morts ? Un nettoyeur ? Ça sentait très mauvais et la jeune femme ne voulait pas révéler sa présence. Les pas s’éloignèrent, il y eu un bruissement de tissu puis plus rien. Il devait être parti. Avec une lenteur extrême, Cassandra passa la tête hors de la nappe. La tente était vide. Elle se releva silencieusement. Une angoisse terrible l’étreignait. Que devait-elle faire ? Dans un geste irréfléchi, elle attrapa la pierre polie et la fourra dans une poche. Elle vérifia que les alentours de la tente étaient déserts et elle courut jusqu’à la sienne.
― Bon sang, vite ! murmura-t-elle.
Elle attrapa un sac à dos, y fourra de l’argent et son passeport, plus quelques vivres et une bouteille d’eau. Elle devait se tirer et vite ! Elle espérait que personne ne l’entendrait démarrer le 4x4.
A demi-courbée, elle quitta sa tente pour se diriger vers les véhicules. Trop tard. 

 

 

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