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L'OEIL DU MAL (Agent spécial Léa Bacal, tome 5)

 

 

CHAPITRE UN

« L'absence est à l'amour ce qu'est au feu le vent ; Il éteint le petit, il allume le grand. »

Bussy-Rabutin, L'histoire amoureuse des Gaules.

 

 

Le vol fut bref, à peine plus de deux heures, d’une monotonie affligeante interrompue par la pause viennoiserie-café. Je n’ouvris même pas le livre emporté, ma place côté hublot me permit de m’évader, le regard ballotté sur la mer de nuages blancs. Je voulais surtout éviter de croiser celui de mon voisin de siège, le phobique de l’avion dans toute sa splendeur. C’était simple, il n’avait pas desserré les doigts de tout le vol, enfoncés à s’en faire péter les jointures dans les accoudoirs.

L’avion entama sa descente, la voix du commandant de bord crachota dans les haut-parleurs pour donner ses instructions au personnel afin de se préparer à l’atterissage. La carlingue se mit à vibrer, les moteurs grondèrent et la secousse au moment de toucher le tarmac nous plia en avant.

Mon voisin, toujours agrippé comme une moule à son rocher, devait en être à sa centième prière. Je souris intérieurement. S’il savait ! Il avait dix fois plus de chance d’avaler son bulletin de naissance en marchant dans la rue que dans ce cigare volant. Il pouvait croiser une créature qui ferait de lui son dîner alors que se crasher restait statistiquement improbable.

Le paysage défila de moins en moins vite, puis l’avion roula jusqu’à son point d’ancrage. Mon voisin se leva avant même l’arrêt complet et farfouilla à la recherche de son bagage à main. Blême, il rejoignit le troupeau des impatients dans la travée. Je préférai rester assise jusqu’à ce que la voie soit libre.

Je soupirai. Ces vacances seraient l’occasion de me reposer, mais surtout de faire le point et essayer d’oublier ma relation avec Hunter. Je savais au fond de moi qu’il avait raison : aucun de nous n’était fait pour la vie de couple. Cependant, entre avoir conscience d’un fait et l’accepter, il y avait un gouffre…

Le transfert vers l’hôtel, lui, me parut bien plus long que le vol.

Un taxi à la conduite qui provoquerait un arrêt cardiaque chez le commun des mortels me déposa au port. J’avais choisi un petit hôtel sur une île isolée, loin des nuées de touristes, pour avoir la paix et me ressourcer, mais cela avait un prix. Je devais donc me coltiner encore une traversée et une balade en navette avant de pouvoir enfin souffler.

Heureusement, je n’étais pas sujette au mal de mer. La houle, qui paraissait légère vue de loin, secouait l’embarcation. Je préférai rester dehors et, agrippée à la rambarde pour ne pas me retrouver les fesses sur le pont, je me régalai de la vue et des embruns au goût salé. J’en profitai pour admirer les bateaux de pêche, typiques, avec leur coque colorée de jaune, vert et bleu, leurs voiles blanches déployées telles les ailes d’un cygne. Un œil ressemblant à celui d’Osiris, peint à la proue, fixait l’écume comme pour en percer les mystères. Ils paraissaient voler sur la houle comme des libellules.

Le minibus m’attendait. J’en étais la seule occupante et le chauffeur démarra après s’être chargé de mes bagages. Le trajet, de moins d’une demi-heure, se passa en silence. Seul l’autoradio meublait avec des tubes du moment. Nous fûmes obligés d’emprunter une déviation qui nous éloigna de la côte. Mon chauffeur m’informa que d’importants travaux dont on ne voyait pas la fin en étaient la cause : le traitement des eaux usées nécessitait la pose de conduites et l’édification d’une usine. Jusqu’à aujourd’hui, tout allait directement à la mer… Pas très écolo. La perspective de me baigner dans une flotte pleine de choses que je préférais ne pas nommer ne m’enchanta guère. Enfin, j’étais à jour dans mes vaccins, déjà ça !

Le véhicule s’arrêta enfin devant mon petit hôtel. Les murs de pierres couleur miel du Marfala Lodge accrochaient la lumière de fin d’après-midi et paraient l’édifice d’un cocon doré. Des volets bleus, découpés à la façon des moucharabiehs, parsemaient la facade comme des incrustations de turquoises et rappelaient les influences arabes de l’île. Je soupirai d’aise. J’allais être très bien ici.

Les formalités d’enregistrement effectuées, je pris possession de ma chambre. Un décor simple et typique qui invitait au repos. Un lit double occupait la majeure partie de la pièce, avec un banc assorti à son pied. Dans un coin, un meuble, entre la table et le bureau, surmonté d’un grand miroir, avec un fauteuil encastré dessous. Un panier m’y attendait, avec des petites fioles de produits de toilette, des mini-pots de spécialités locales et quelques chocolats. Sympa. Le groom parti, je me laissai tomber sur le couvre lit, un sourire ravi étirant mes lèvres. Oui, ici rien ne viendrait contrer mon délassement.

 

Ma première nuit fut divine. Je dormis comme un loir, ce qui ne m’était pas arrivé depuis bien longtemps. Aucun rêve désagréable, aucun réveil intempestif n’avaient émaillé mon sommeil. Reposée et fraîche, je dégustai le petit déjeuner copieux avant de rejoindre la piscine et son alignement de transats et de parasols de paille. Armée de mon bouquin et de mon tube d’écran total, j’étais parée pour une super journée de farniente !

J’alternai bronzette, nage, dégustation de cocktails sucrés et lecture. Si tôt dans la saison, peu de clients fréquentaient l’endroit et c’est donc au calme, sans des gamins braillards courant partout, que ma première journée de vacances bien méritées se déroula. Je m’étais procurée quelques brochures qui vantaient la beauté farouche de Marfala, mais la plupart des sites et musées se trouvaient sur l’île principale, Malte. Ici, il n’y avait que quelques ruines que je me jurai de voir à l’occasion. La soirée arriva sans que je m’en rende compte. À ce train-là, mes deux semaines fileraient bien vite.

Mon dîner expédié, je décidai d’aller marcher le long des plages, histoire de voir à quoi ressemblaient les environs – je n’avais pas l’intention de me cantonner à l’hôtel – et pour prendre un bon bol d’air, iodé mais pas trop. À ce niveau-là, la Méditerranée n’égalerait jamais l’Atlantique.

Ma pérégrination m’éloigna des espaces habités et, bientôt, je fus la seule âme à errer dans ces paysages sauvages et magnifiques. Je croisai les doigts pour qu’aucun promoteur immobilier ne vienne dévaster ce paradis avec des cubes de béton.

Je longeai des bords abrupts qui descendaient à pic vers la mer. Des criques isolées, déchiquetées dans la pierre, s’enchainaient. Je grimpai un escarpement et rien n’arrêta plus mon regard. Au loin, sur un roc, des ruines se dressaient comme un gardien mettant en garde quiconque de s’aventurer à ses pieds. Une idée de visite pour une journée ensoleillée. Là, le soir tombait, les premières étoiles commençaient à piqueter le ciel bleu profond et je ne voulais pas risquer de me tordre une cheville en ne voyant plus rien. Je fis donc demi-tour et redescendit vers une des plages remarquées plus tôt. Au bout d’un quart d’heure, dans un creux de dunes, j’aperçus un halo rougeâtre et des étincelles qui montaient dans le ciel nocturne. Je continuai d’avancer, et, avant d’apercevoir quiconque, la nostalgie des notes d’une guitare me happa. Un groupe de jeunes gens d’une vingtaine d’années, assis autour du feu, profitaient de la douceur du soir. Une jeune femme m’aperçut et me fit signe de venir les rejoindre. Ravie de cet interlude, je m’exécutai.

Les présentations furent vite expédiées, en anglais, et je m’assis auprès de celle qui m’avait interpellée, une certaine Amanda.

Elle me tendit une cannette de bière et je la remerciai.

― De rien ! lança-t-elle dans un français impeccable.

Devant mon air interrogateur, elle sourit.

― Ma mère est originaire d’ici, mais mon père est français. J’ai vécu à Paris jusqu’à mes seize ans. Lorsqu’ils ont divorcé, j’ai suivi maman.

― Et mon accent anglais est si pourri que ça ?

Amanda se mit à rire.

― Non, il est très bien, mais les intonations françaises ressortent, j’ai l’oreille pour ça ! Tu es en vacances ?

― Oui, je viens d’arriver, pour deux semaines.

Amanda opina avec une légère moue.

― Il n’y a pas grand-chose à visiter sur Marfala, juste les beaux paysages à admirer. Pour le reste, il vaut mieux aller sur l’île principale de Malte, à la Valette.

― Je compte surtout me reposer, mais j’irai sûrement, oui. J’ai aperçu des ruines, de loin.

Amanda but une gorgée de bière et me regarda.

― Les vestiges du château des chevaliers. Il ne reste plus beaucoup à voir, quelques murs encore debout, c’est tout.

Le guitariste reposa son instrument, mettant fin au fond musical de notre échange. L’un des garçons leva la main et prit la parole en anglais. Je me concentrai afin de suivre son récit.

― Ils adorent raconter des histoires glauques, me souffla Amanda.

En effet, sous les rires et les mimiques faussement apeurées du groupe, le conteur narra une histoire de fantômes. Le genre de légende classique qui fait frissonner de plaisir, tant on sait que tout est faux.

Un autre reprit à la suite.

― N’empêche, le type retrouvé en bas de la falaise serait mort de peur, à ce qu’on raconte !

― Tu parles ! C’est n’importe quoi ! C’est un accident ou un suicide.

― Un témoin raconte avoir vu une brume lumineuse, juste avant le plongeon du type.

― C’est qui, ton témoin ? Cet alcolo de Paolo ? Vachement fiable !

― Ouais, mais mon père connait un flic qui lui a dit que le mec avait les paupières et la langue arrachés et que son visage était déformé par la peur. T’explique ça comment, toi ?

Les éclats de rires fusèrent et je me tournai vers Amanda.

― C’est quoi, cette histoire ?

― Un homme a été retrouvé mort il y a deux jours, au bas de la falaise, non loin des ruines dont nous parlions tout à l’heure. Je n’en sais pas plus.

― Et ses paupières ?

Amanda haussa les épaules.

― C’est juste une rumeur. Effectivement, il se dit qu’il ne les avait plus ainsi que sa langue. Mais ici, sur une petite île isolée, c’est facile de faire courir des bruits invérifiables. Les superstitions locales font le reste.

Je finis ma bière et, une ou deux histoires à dormir debout plus tard, je décidai de prendre congé pour retourner à l’hôtel.

― J’ai bossé comme guide, au musée de La Valette, lorsque j’étais étudiante. Si tu veux, je pourrai te montrer des coins sympas, t’accompagner en visite, si tu veux bien-sûr.

― Merci Amanda, c’est très gentil. C’est une bonne idée, en effet.

Je griffonnai mon nom, mon téléphone et mon numéro de chambre sur un bout de papier avant de le tendre à la jeune femme et enregistrer son numéro de portable sur mon Smartphone.

― À bientôt alors !

Je quittai la bande de joyeux lurons et retrouvai, non sans plaisir, ma chambre douillette. Après une bonne douche, je me mis au lit avec mon bouquin.

Je venais de relire pour la quatrième ou cinquième fois la même phrase. Impossible de me concentrer. L’histoire du mort me revenait sans cesse à l’esprit. J’étais en vacances, je n’allais quand même pas laisser mon imagination me les pourrir, non ?

Et merde.

 

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CHAPITRE DEUX

 

 

Après une matinée à la plage, je décidai de me rendre à pied au village de pêcheurs qui ne se situait qu’à deux ou trois kilomètres de mon hôtel. Cela me ferait une bonne balade et je pourrais toujours fureter dans quelques boutiques.

Un léger vent, chaud et sec, me fouettait les joues. Je regrettai de m’être chaussée de sandales, le chemin caillouteux aurait été plus praticable en tennis et je dus m’arrêter plusieurs fois afin d’ôter des gravillons qui me piquaient les orteils.

Lorsque le virage s’ouvrit, je découvris enfin les maisons blotties au pied de la falaise. Chaque propriétaire devait vouloir se faire remarquer, car c’était à la façade qui arborerait la couleur la plus vive. Jaunes, roses, bleues ou vertes, elles rivalisaient dans un feu d’artifice qui régalait l’œil, sur un fond de mer bleu turquoise. Pas besoin d’aller à l’autre bout de la planète pour se sentir complètement dépaysé !

J’hésitai un instant devant un modeste présentoir de cartes postales collé à la devanture d’un petit magasin. Après mûre réflexion, je passai mon chemin, je n’avais personne à qui en envoyer une.

Boissier ? Pas vraiment.

Charles ? Et puis quoi encore.

Hunter ? Ma gorge se serra un instant. De toute façon, j’ignorais où il se trouvait Et puis, n’étais-je pas là, en partie, pour essayer de l’oublier ? Loupé.

La seule boutique artisanale n’offrait que des babioles en vannerie ou dentelle, pas vraiment mon style. Quelques pièces d’orfèvrerie, principalement en argent (ou en toc !) s’étalaient sur un présentoir. La plupart s’inspirait de la célèbre croix de Malte, tout en fioritures tarabiscotées.

Midi tapante, il faisait chaud. C’est tout naturellement que je me dirigeai vers le petit bistrot avec vue sur le port pour me désaltérer d’une bonne limonade bien fraîche.

Installée dehors sur la terrasse ombragée d’une treille, je suçotai le bout de ma paille et dégustai des olives succulentes. Seuls deux hommes discutaient à une table, un peu plus loin. Le gros de la clientèle, des pêcheurs locaux pour la plupart, préféraient se tasser à l’intérieur de la salle enfumée. Le brouhaha de leurs conversations m’arrivait, par vagues, par la porte vitrée laissée grande ouverte.

Le ton monta d’un coup, ponctué par un bris de verre. Je tournai machinalement la tête afin de voir quel évènement produisait ce raffut. Le patron du bar, un quinquagénaire corpulent qui arborait une moustache stalinienne bien fournie, tenait un type par le col de sa chemise et le traînait au travers de la salle, sous les rires et les quolibets des autres clients. Les voix se mêlaient trop pour que je saisisse un traître mot, mais quoi que cet homme ait fait, ça pétait !

Le tenancier le tira sur la terrasse, ils passèrent au ras de ma table avant que le pauvre gars se fasse éjecter sur la rue.

― Et ne remet plus les pieds chez moi, Paolo !

Le moustachu rentra, bombant le torse devant ses clients, satisfait de son étalage de puissance à la sauce testostérone. L’indésirable, un pauvre diable bâti comme un manche à balai, se remit péniblement sur ses pieds. Il lissa le devant de sa chemise comme pour la défroisser, mais vu l’état du vêtement maculé, le geste me parut comique. Maigre, le visage buriné par les éléments et par l’alcool, il jeta un regard noir vers l’intérieur du bar et leva un poing vengeur. Ses mots inarticulés n’avaient aucun sens, mais le ton employé ne laissait pas planer le moindre doute quant à son mécontentement d’être traité de la sorte. Je cachai mon sourire amusé derrière ma main et sirotai ma limonade pour me donner une contenance et ne pas rire. Le type tourna sur lui-même, comme s’il avait perdu le nord. Vu comme il chancelait, il n’allait pas tarder à s’étaler. Soudain, il tendit vers moi un index accusateur. Ses gros sourcils noirs cachaient presque ses yeux, pourtant je les vis briller d’excitation.

― Vous êtes tous des fous ! Moi, je sais ce que j’ai vu ! Il reviendra, pour sûr ! Et alors là, ça rigolera moins, pardi !

J’avais saisi le sens malgré un débit haché par l’abus d’alcool. Et il se mit à descendre la rue qui conduisait au port, titubant, avec juste assez de reflexes pour se raccrocher à une poubelle ou un lampadaire et éviter de se retrouver le nez dans la poussière. Ce type en tenait vraiment une bonne !

J’appelai le patron, réglai ma consommation et lui demandai si je pouvais lui acheter une bouteille de whisky. Il me l’apporta, tout sourire, et je quittai l’établissement, le précieux breuvage dans mon sac. Je pris la direction empruntée par Paolo. Son prénom, son addiction à l’alcool et ses élucubrations m’avaient rappelé ce que le groupe de jeunes disaient, la veille, autour du feu. Il n’en fallait pas plus pour piquer au vif ma curiosité naturelle. Puisque cette histoire de mort m’avait empêché de dormir, autant voir ce que ce Paolo avait à dire…

 

Les embarcations bariolées s’alignaient, retenues à leur bitte d’amarrage. Leurs bouées s’entrechoquaient doucement dans un bruit léger de clapotis et de grincements caoutchouteux. Mes lunettes de soleil n’empêchaient pas la réverbération de me faire cligner des yeux, et je ne vis mon pêcheur nulle part. Malgré sa cuite, il était rapide le bougre !

Je continuai de longer la jetée du petit port jusqu’au bout. Là, des rochers s’amoncelaient et grimpaient au pied de la falaise. Je ne pouvais aller plus loin. À ma droite, des bateaux en cale sèche attendaient leur carénage. Je me glissai entre deux coques et remontai vers des cabanons. L’un d’eux, en piteux état, se tenait à l’écart des autres, adossé à la falaise. Je vis le dénommé Paolo le contourner avant de disparaître à l’intérieur.

Bingo.

Je frappai doucement contre le chambranle vermoulu et blanchi. Un bruit de pas traînants se rapprocha et une main calleuse écarta le rideau de perles multicolores de mauvais goût qui barrait l’entrée. J’affichai mon plus beau sourire.

― C’est pour quoi ?

Le regard injecté de sang du pêcheur me scruta, méfiant. Il était encore assez lucide pour s’attarder sur mon décolleté. Je tentai une approche dans un anglais le plus clair possible.

― Bonjour ! Je m’appelle Léa, je suis en vacances dans le coin. J’ai appris que vous connaissiez pas mal d’histoires sur cette île, alors je me suis dit que vous pourriez m’apprendre des… anecdotes.

Le type soupira, il ne devait pas avoir l’habitude de recevoir des visites. Il me jeta un coup d’œil suspiscieux.

― Y’a l’office du tourisme pour ça.

― Oui, mais… rien ne vaut le vécu des gens, minaudai-je.

― Vous voulez savoir quoi ?

― Hum… je ne sais pas… des informations sur les ruines du château, son histoire, enfin, vous voyez…

J’écartai les bords de mon sac et dégageai le goulot de la bouteille. Pas joli-joli, mais je ne voyais pas comment l’appâter autrement.

― Et puis, comme causer donne soif, je ne suis pas venue les mains vides…

Le regard du vieil homme (mais était-il si âgé ?) se mit à briller. D’un geste brusque, il me fit signe d’entrer. Il me désigna une caisse en guise de chaise. Je m’installai en prenant garde de ne pas m’enfoncer d’échardes dans les fesses. Paolo me tourna le dos et fourragea dans l’amoncellement d’objets hétéroclites qui traînaient là. Lorsqu’il me fit de nouveau face, il tenait dans ses mains deux verres à la propreté plus que douteuse.

― Ce château… faut éviter d’y traîner, ma p’tite dame. C’est dangereux.

― Ah oui ? J’imagine qu’on peut glisser sur les pierres et tomber. N’est-ce pas ?

― Ouais. Y’a des trous partout. Pis y’a rien à voir là-bas. Que des cailloux.

Il prit la bouteille que j’avais posée au centre de la bobine de câbles qui servait de table. Il la déboucha et versa le liquide ambré avec un air gourmand sur le visage. Il reprit d’une voix pâteuse :

― Sans compter que c’est hanté, là-haut. À la vôtre.

Il descendit son whisky cul sec et entreprit de s’en verser un autre. J’allais devoir le faire parler vite, avant qu’il ne tombe dans une torpeur éthylique qui rendrait son débit incompréhensible. Il torturait déjà assez comme ça la langue de Shakespeare. Je pris un air faussement intéressé.

― Hanté ? Sans rire ? J’adore les histoires de fantômes ! Dites-moi tout !

― C’était une vraie forteresse, autrefois. Des chevaliers y habitaient, pas des tendres à ce qu’on raconte. Ils se disaient soldats de Dieu, mais il se passait des trucs pas catholiques derrière ces murs, moi j’vous le dis !

― C’est-à-dire ?

― Ben… il paraît qu’ils cachaient un trésor. Tout cet or, c’était diableries et alchimie. Ils pensaient être tranquilles, protégés par l’Église, mais l’Inquisition y a mis bon ordre !

― Je vois. Un peu comme les Templiers, les Cathares, chez nous, en France…

― Bah, si vous l’dites. Et à la fin, y’a eu cette histoire avec la sorcière.

― Une sorcière ? soufflai-je, les lèvres au bord du verre, sans boire. Racontez-moi ça !

Paolo se racla la gorge et se gratta le crâne de ses ongles noircis.

― Ben… vous savez, fallait pas grand-chose pour se faire traiter de sorcière en ces temps-là. Ça se trouve, c’était qu’une pauvre fille… enfin. Elle habitait le village. On dit qu’elle avait la beauté du diable. Elle parlait aux animaux, elle connaissait les plantes, et surtout, elle vivait seule. Ça se faisait pas. Et un des chevaliers est tombé amoureux d’elle.

― Ah oui ? Ils n’étaient pas des moines-soldats ? demandai-je tout en lui versant une nouvelle rasade.

― Non. Ils n’avaient pas fait vœux de chasteté. Du coup, ça devait y aller, là-dedans !

Un rire gras le secoua.

― Pourtant, ils cachaient leur amour ces deux tourtereaux. Ça devait rester secret…

Il posa son index sur sa bouche et plissa les paupières. Son coude glissa de la table. Pas de doute, il commençait à être bien mûr.

― Et que s’est-il passé ensuite ?

― Quelqu’un a dénoncé la fille. Sorcellerie, mœurs dépravées, il n’en fallait pas plus pour la conduire au bûcher.

― Aïe.

― Ouais. Et l’inquisiteur a puni aussi le chevalier. On dit qu’il a été enterré vivant…

― Quelle horreur !

Paolo ricana.

― Il était le dernier chevalier en place. Il a emporté le secret du trésor avec lui. Si un tel trésor existe, bien-sûr…

― Bien-sûr, murmurai-je. C’est une triste histoire.

Le pêcheur avala son whisky. Ses joues couperosées tiraient sur le violet. Empourpré et fiévreux, il leva son index avant d’annoncer, d’une voix sentencieuse rendue hésitante par l’alcool :

― Mais avant de partir… ils les a tous maudits ! Il a juré… revenir se venger !

― Je vois… j’étais au café tout à l’heure. J’ai vu le patron vous jeter dehors. C’est à cause de ces histoires ?

L’homme haussa les épaules et but une nouvelle gorgée.

― Ils me prennent pour un fou, mais moi, je sais !

Je remplis encore son verre vide. Il claqua la langue contre son palais et planta ses iris embrumés dans les miens.

― Je l’ai vu. Il est revenu.

― Qui ça, fis-je, l’air détaché.

― Le fantôme du chevalier, pardi ! L’homme qui est tombé de la falaise, c’était pas un accident ! J’étais sur ma barque, pas loin. Il faisait déjà sombre, et il y avait cette brume lumineuse en haut de la falaise. Le type s’est fracassé en bas, après y’avait comme une drôle d’odeur dans l’air.

― Une odeur ?

― Fraîche, plutôt agréable. Minérale. Je sais pas comment dire. Comme pendant un orage.

Mon regard se perdit au-delà de la fenêtre. Je regardai la mer étale sans la voir et triturai mes lunettes de soleil. Ce type ne m’avait rien appris de concret. Je ne croyais pas aux fantômes. Mon boulot me faisait côtoyer des tas de créatures étranges, mais les revenants n’en faisaient pas partie. La mort était un point final, nul ne pouvait revenir hanter les vivants. Et comment une substance éthérée, sans aucune réalité pourrait-elle faire du mal à quelqu’un ? C’était absurde.

― Il paraît que le mort était mutilé. C’est vrai ?

Paolo ne répondit pas. Je tournai la tête vers lui. Affaissé sur sa caisse, le menton contre sa poitrine et les yeux clos, il commença à ronfler. Je ne tirerai plus rien de lui.

Et merde.

 

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CHAPITRE TROIS

 

Après un déjeuner tardif au restaurant de l’hôtel, j’hésitai sur mon choix d’activités de l’après-midi. Piscine, plage, ou un coup d’œil aux ruines ? Je décidai de couper la poire en deux. Piquer une bonne tête dans l’eau chlorée me rafraichit les idées, j’étais en forme pour grimper jusqu’au donjon abandonné.

Il me fallut marcher plus longtemps que prévu, mais cette fois je m’étais chaussée correctement. Les accidents du terrain m’empêchèrent d’avancer en ligne droite, j’avais beau le voir, là, tout près, impossible de le rejoindre directement. Finalement, après maints détours au milieu de la lande farcie d’épineux et de rochers coupants, j’arrivai enfin près des ruines.

Aussitôt aux pieds des murs, l’ambiance qui s’en dégageait me glaça, malgré les trente degrés au thermomètre. Je frissonnai. La tristesse, la désolation, une austérité rigide suintaient de chaque pierre, de chaque moellon. La vie en ces lieux avait dû être des plus rudes.

Je contournai un muret et jetai un œil au bas de la falaise. Je pris bien garde de m’arrimer à la pierre et mes pieds ne se rapprochèrent pas trop du bord. Environ quarante mètres en dessous, la mer se jetait sur les rochers avec une férocité animale. Les bords des vagues frangées d’écume me firent penser à des dents acérées qui attaquaient le roc pour mieux le dévorer. Le tout dans un grondement de tonnerre, comme le rugissement d’un fauve blessé. Des oiseaux marins volaient en faisant du sur-place, face au vent, à la recherche d’un poisson savoureux. Leurs cris aigus se mêlaient au brouhaha du ressac, ajoutant encore une note lugubre au décor. J’imaginai l’homme qui était tombé. Il avait dû se voir mourir, sentir l’air et le bruit l’envelopper avant de heurter les rochers. Avait-il eu le temps de souffrir ?

Je reculai, presque nauséeuse. Cet endroit me mettait mal à l’aise. Et cela n’avait rien à voir avec les histoires à dormir debout de Paolo. Je me retournai brusquement, la sensation d’être épiée me chatouillait les omoplates. Pourtant, j’étais on ne peut plus seule.

M’éloignant de la falaise, je passai sous une petite arche de pierre pour entrer dans ce qui fut une sorte de cour intérieure. J’imaginai les va-et-vient des hommes, le hennissement des chevaux, le tintement métallique des épées… Plus la moindre agitation. Aujourd’hui, tout était mort, la proie du lierre, du vent, des petits animaux. Je traversai la place envahie d’herbes folles et jaunies. Les murs, à demi effondrés pour la plupart, me dominaient et leur ombre me caressait par intermittence. J’espérai qu’aucune pierre branlante n’aurait la mauvaise idée de me tomber sur la tête. Connaissant ma chance, je me méfiais.

Un petit escalier s’enfonçait dans le sol au pied d’un rempart. Je m’y aventurai pour finir bloquée par des planches d’aspect solide. Un « no entry » baveux s’étalait en travers, à grands coups de pinceaux. Au-dessus du linteau de cette entrée masquée, une croix de Malte ressortait en bas-relief. J’essayai de regarder entre les interstices du bois, mais mes yeux ne rencontrèrent que des ténèbres impénétrables. Soudain, un courant d’air glacé m’assaillit et un chuchotement passa au ras de mon oreille gauche. Surprise, je reculai, heurtai le bord des marches et me retrouvai sur les fesses.

Mon Smartphone jugea le moment opportun pour sonner.

― Salut Amanda ! Je suis contente de t’entendre !

Je regardai mes avant bras. Tous mes poils se dressaient sous l’action d’une chair de poule incontrôlable. Mon soulagement à entendre la voix de ma correspondante n’était pas feint.

― Salut Léa. Tu vas bien ?

― Oui, mentis-je.

― Si tu n’as rien de prévu demain, je me disais que… on pourrait prendre une navette et aller à La Valette ? Enfin, si ça te dit ?

― Oui, super idée ! rétorquai-je le regard collé à cette porte de planches.

J’étais ravie de la distraction. Une activité loin de ce tas de cailloux glauques.

― Je passe te prendre à ton hôtel. Neuf heures, ce n’est pas trop tôt ? Il y a une navette toutes les deux heures, si on rate celle-là, après ça fait tard…

― Neuf heures ! Impeccable ! Je serai prête !

Je bredouillai des remerciements et raccrochai.

Le regard toujours fixé aux planches, je me demandai ce qui pouvait bien se cacher derrière. « Rien » était certainement la bonne réponse, car un simple courant d’air et une imagination galopante venait de me faire perdre les pédales…

 

Après une nuit agitée ponctuée de rêves assez désagréables, je me tenais prête. À l’heure dite, Amanda klaxonna et je sortis du hall pour la rejoindre à bord de sa Twingo.

― Tu as bien dormi ? Tu sembles fatiguée…

― Bof, pas vraiment. Quelques cauchemars dont je ne me souviens même pas.

Nous prîmes la route du port, avec encore des détours dus aux travaux, et arrivâmes juste à temps pour sauter à bord de la navette.

Installées sur le pont, nous regardâmes la côte s’éloigner. Au loin, les ruines du donjon semblaient me narguer et un frisson me parcourut.

― Si tu as froid, on peut rentrer, proposa Amanda.

― Non, il fait bon, ce n’est pas ça…

Je lui narrai mon expérience troublante, la veille, au château, et ma discussion avec Paolo. Amanda sourit.

― Le subconscient nous joue parfois de sales tours. Tu t’es mise dans l’ambiance, avec toutes ses histoires. Que tu le veuilles ou non, même si tu ne crois pas aux revenants, ton esprit a amalgamé tout ça et le moindre bruit, le moindre mouvement est devenu réalité à tes yeux.

― Oui, je sais. C’est idiot. Mais j’ai vraiment cru entendre un murmure. C’était très dérangeant. Pourtant, côté émotions fortes, je suis blindée avec mon boulot.

Amanda se redressa, le siège de bois commençait à nous faire mal au dos.

― Pourquoi, tu fais quoi comme travail ?

― Je suis agent du GIAR.

Je lui expliquai brièvement en quoi consistait ma fonction, sans trop entrer dans les détails. Comme beaucoup de gens, Amanda connaissait plus ou moins l’existence de notre organisation sans savoir réellement quelle était son activité. Au fur et à mesure de mon récit, ses yeux s’agrandissaient jusqu’à devenir ronds comme des coupelles.

― Mais alors… tu es une sorte de… tueuse ?

Je souris. Je préférais me voir comme une gardienne de la paix.

― Je suis plutôt une garante de la tranquillité. Tant que les créatures se tiennent à carreau, vivent leur existence sans mettre en danger les humains, alors elles n’ont rien à craindre du GIAR. Je ne m’occupe que des renégats, de ceux qui ont franchi la ligne rouge…

― Il n’y a pas de GIAR dans l’archipel. C’est plutôt rassurant au final, cela veut dire qu’il n’y a pas de créatures ! sourit Amanda.

― Ne crois pas ça. Peut-être en connais-tu sans le savoir. La plupart s’intègre bien et ne fait pas de vagues. Heureusement.

Nous nous levâmes, le bateau manœuvrait pour se coller à l’embarcadère.

 

Après une petite promenade dans la vieille ville, Amanda me traîna au musée. Sur le chemin, près du grand port, elle m’arrêta devant une large bâtisse de pierre couleur miel qu’elle me désigna.

― Tiens regarde, puisque Paolo te parlait de l’Inquisition…

― C’est quoi ?

― C’était le palais de l’Inquisiteur. Quasiment le dernier qui subsiste. Tu vois, il est bâti juste en face du port, c’est stratégique.

― Comment ça ?

― Eh bien, il pouvait contrôler toutes les entrées et les sorties de l’île, hommes et marchandises. Il gardait un œil sur tout. Ce palais avait plusieurs fonctions : résidence de l’Inquisiteur, mais aussi tribunal ecclésiastique et prison inquisitoriale.

― Super. Une bien belle époque ! Je suis très contente d’être née au XXe siècle ! Je pense que je n’aurais pas fait de vieux os…

Nous nous mîmes à rire.

― Le musée d’archéologie est un peu plus loin. De nouvelles pièces sont exposées depuis peu : les travaux que tu as vus sur la route ont mis au jour des vestiges.

― Chouette !

J’avais toujours été attirée par l’Histoire et l’art des différentes époques. Raison pour laquelle mes études s’étaient orientées dans cette direction, du moins dans un premier temps. Le massacre de ma famille en avait décidé autrement et poussé dans une autre voie, beaucoup moins frivole et bien plus utile au quotidien… Mais ma passion des vieilles pierres et des œuvres du passé n’avait pas faibli. C’est donc avec entrain que je la suivis.

Nous arrivâmes au musée, installé dans une jolie maison de style baroque. Nous évoluâmes de pièce en pièce, en silence. J’admirai des reliques dont les plus anciennes dataient de plus de 5000 ans avant J.-C. Je m’arrêtai devant une sculpture de femme assoupie. Allongée sur le flanc, grasse et pansue, elle devait sans doute représenter la féminité ou la maternité.

― Aujourd’hui, il faut être fine et svelte pour attirer le regard des hommes. Cette fille ne devait pas se préoccuper de régimes…

Nous pouffâmes comme deux écolières.

― Viens, à côté il y a cette nouvelle exposition, les pièces découvertes pendant le chantier…

Derrière une cage de verre, je découvris un étrange cercueil en métal très corrodé. Le couvercle, posé de biais, laissait voir l’intérieur de la bière. Quelques ossements subsistaient, dont un crâne. Mais le plus étrange restait le doublage interne. On aurait dit une feuille d’un autre métal, gris, à laquelle des morceaux manquaient.

― Les ouvriers sont tombés sur une nécropole, me précisa Amanda. Il ne restait pas grand-chose, les cercueils de bois ont pourri, mais celui-ci est différent.

― En effet…

Je me penchai sur le panneau d’information. La datation n’était pas précise, on le pensait du XVIe siècle. Il était composé de plomb et le métal qui recouvrait ses faces internes était de l’argent. Pas commun, avec un poids de près de 500 kilogrammes. Quant au squelette, il s’agissait d’un homme âgé d’une trentaine d’années à sa mort. Ses effets personnels se trouvaient dans une autre vitrine.

Là, je vis une boucle de cuivre. En forme d’étoile, un œil, comme celui retrouvé fréquemment sur les barques de la région, se dessinait au centre. D’après la note, il s’agissait certainement d’un fermoir de ceinture. À côté, reposait une épée au manche travaillé et à la lame brisée, ce qui indiquait que le cadavre était celui d’un chevalier, ou du moins, d’un soldat.

― Le métal avait beaucoup de valeur autrefois… pourquoi en utiliser autant pour enterrer quelqu’un, plutôt que du bois ? C’est très inhabituel, murmurai-je.

― Oui, aquiesça Amanda, on ne voit pas souvent ce genre de chose.

À la droite de l’épée, sous un verre de protection, on pouvait voir un parchemin jauni. En velin, la peau d’un veau mort-né, il comportait des inscriptions difficilement lisibles, probablement en latin. La traduction se trouvait sur une feuille, juste à côté.

« Que les dieux vous accordent de mourir

avant que les grands anciens règnent de nouveau sur la terre ! »

― Plutôt sinistre, souffla Amanda.

― C’est clair. Celui qui a écrit ça ne devait pas être un boute-en-train !

Bizarrement, cette phrase éveilla en moi un sentiment de déjà-vu, sans que j’arrive à mettre le doigt dessus. Malgré l’interdiction de prendre des photos, après un rapide coup d’œil circulaire qui me confirma que nous étions seules dans la salle, je dégainai mon Smartphone et pris un cliché du texte. Puis je retournai près du cercueil.

Amanda me jeta un regard interrogateur. C’est vrai que je devais avoir l’air bizarre, ainsi agenouillée au pied de la vitrine, le nez au ras de la vitre, le cou tordu, avec une grimace de concentration.

― Léa ? Tu fais quoi, là ?

― J’essaie de voir… le dessous du couvercle…

Je me redressai, perplexe. Amanda me fixait toujours, jetant des regards à droite, à gauche, afin d’être sûre que personne ne m’avait vu faire ma séance de gymnastique. Je l’attrapai par le bras.

― Assez de visites. On sort boire un truc frais.

Dehors, la chaleur du soleil me rasséréna. Deux minutes plus tard, installées confortablement en terrasse d’un petit bistro sympa, nous commandions nos boissons.

― Tu as l’air étrange. Que se passe-t-il, Léa ?

Je soupirai. Avais-je bien vu ? Je n’en étais pas sûre.

― Je t’ai dit que Paolo m’avait parlé d’une histoire entre une fille et un chevalier ?

― Oui. Et ?

Je laissai mon regard errer sur les passants qui déambulaient. Pas que je veuille entretenir un quelconque suspens, mais je ne savais pas comment aborder le sujet.

― Il m’a dit que cette fille, accusée de sorcellerie, avait été brûlée vive.

Amanda secoua la tête, dégoutée.

― La pauvre ! L’ignorance, la bêtise ont fait bien du mal…

― Son amant, le dernier chevalier du donjon, quant à lui, aurait été enterré vivant.

― Mon Dieu ! Je ne sais pas lequel de ces destins est le pire…

Je rechaussai mes lunettes de soleil et avalai une longue lampée de limonade.

― Tu m’étonnes. Oh, ça va être l’heure du bateau. On y va ?

Amanda se leva. Je refusai de la laisser payer, laissai une poignée de pièces dans la coupelle et saisis mon sac pour la suivre. Alors qu’elle trottinait devant moi, je la rattrapai pour marcher à sa hauteur.

― Et alors, quel rapport entre cette histoire et les objets du musée ? Je ne te suis pas, Léa.

Je lui jetai un coup d’œil en coin.

― Eh bien, vois-tu, il me semble avoir repérer des traces sur la face interne du couvercle du cercueil exposé. Comme des marques de griffures…

 

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